dinsdag 19 augustus 2008

Christian Behrendt over Lennik

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Le Soir
mardi 19 août 2008
p. 11


Il y a quelques jours, le bourgmestre de Lennik a décidé de ne plus arborer le drapeau belge aux bâtiments publics de sa commune, (Le Soir du 14 août). Étant donné que le drapeau national nous appartient à tous, nous voudrions, dans les lignes qui suivent, exposer d’une manière simple le cadre juridique de son pavoisement. Autrement dit : qui doit arborer le drapeau belge, et quand ? (Les domaines maritime, aéronautique et diplomatique, demeurent soumis à des règles spécifiques)
Le principe de base est bien celui de la liberté : à moins qu’un texte juridique prévoit spécifiquement le pavoisement du drapeau national, celui-ci peut être hissé – mais peut aussi ne pas être hissé – à n’importe quel jour de l’année. En ce qui concerne les particuliers, cette règle épuise déjà le sujet.
Pour les autorités publiques belges (fédérales, régionales, communautaires, provinciales et communales), le principe de liberté demeure également applicable, sauf pour un certain nombre de jours, déterminés par un arrêté royal de 1974 (1). Cet arrêté énumère quinze jours au cours desquels le drapeau national doit être arboré aux édifices publics, les deux dates les plus marquantes de cette liste étant le 21 juillet et le 11 novembre, avec leurs importantes cérémonies nationales. Les treize autres jours commémorent également des évènements particuliers, mais n’ont pas nécessairement le statut de jours fériés légaux pour autant (ainsi notamment le 6 juin, jour anniversaire du Roi, qui n’est pas férié). Inversement, un certain nombre de jours fériés légaux ne sont pas repris dans la liste, de sorte que le principe de liberté s’y applique ; tel est notamment le cas du 1er janvier et du 15 août.
Ces développements permettent de comprendre que la décision prise par le bourgmestre de Lennik de ne plus arborer le drapeau national ne pose aucune difficulté aussi longtemps que l’on ne rencontre pas, sur le calendrier, l’un des quinze jours au cours desquels le pavoisement du pavillon belge est obligatoire (2) : le prochain jour obligatoire pour le pavoisement du drapeau national sera le 11 septembre, jour anniversaire de la reine Fabiola.
Avec la fédéralisation progressive de l’État, la situation s’est toutefois compliquée : l’autorité fédérale garde la compétence de réglementer le pavoisement de tous les bâtiments publics – fédéraux ou non – lors des quinze jours énumérés dans la liste de 1974 et lors des autres jours fériés légaux nationaux (puisque c’est elle qui détermine ces jours et le protocole de ceux-ci). Elle conserve aussi celle de réglementer le pavoisement des bâtiments fédéraux (ministères fédéraux et agences fédérales, bureaux de douane, gares, postes de police), et cela – si elle le souhaite – pour tous les jours de l’année.
Mais pour ce qui est du pavoisement, un jour « ordinaire », de bâtiments qui ne relèvent pas du fédéral (édifices communautaires, régionaux, provinciaux ou communaux), ce n’est désormais plus le fédéral mais les entités fédérées et leurs organes subordonnés qui sont autorisés à régler la matière. Ainsi, la Commission communautaire flamande (COCON) a édicté des dispositions qui règlent le pavoisement de ses bâtiments à Bruxelles. Et elle précise – en toute légalité – que trois drapeaux seulement seront arborés : le drapeau flamand (au milieu), le drapeau de la COCON et le drapeau de la Région de Bruxelles-Capitale (3). Chose notable : le drapeau national ne sera pas arboré. Par ailleurs, la Communauté flamande a prévu –également en toute légalité – que le drapeau national ne pourra pas être hissé seul mais devra, lorsqu’il est arboré, systématiquement être accompagné du drapeau flamand (4). D’ailleurs, si les deux sont hissés un jour « ordinaire », c’est le drapeau flamand qui a la préséance (5). Enfin, toujours lors de jours « ordinaires », le drapeau flamand peut être hissé seul, sans le drapeau national à ses côtés (6) : le bourgmestre de Lennik l’a bien compris.
Et pour finir, la question pour la grande distinction : qu’est-ce qui se passe, si le 11 septembre (prochain jour qui figure sur la liste des quinze jours au cours desquels le pavoisement du drapeau national est obligatoire), le lion flamand orne toujours seul la maison communale de Lennik ? Réponse : probablement rien. En effet, l’arrêté royal de 1974 n’établit aucune sanction spécifique en cas de non-respect de ses dispositions, et la tutelle générale sur les communes n’appartient plus à l’Autorité fédérale mais à la Région flamande. Et puis : le lendemain du 11 septembre, l’absence du drapeau national à Lennik sera de nouveau parfaitement légale. Tout cela, le bourgmestre le sait sans doute fort bien – et nous conduit ce faisant au « Musée des angles morts » du droit public belge. De ces angles, il y existe déjà une belle collection; et toute nouvelle réforme de l’État amène des pièces nouvelles.
À la veille du prochain remaniement institutionnel, dont certains souhaitent faire une révolution copernicienne, l’anecdote de Lennik peut nous apprendre deux choses. Premièrement, qu’il est malaisé – et dès lors à notre sens inopportun – de vouloir assurer l’attachement aux symboles belges par des règles juridiques contraignantes. Mais c’est la deuxième chose qui se situe au centre de notre pensée : lors de la rédaction des principaux textes de la future réforme de l’État, il conviendra de ne pas y procéder la nuit, à la hâte, autour d’un coin de table. Sinon, et pour rester dans l’image, le risque est grand pour notre structure fédérale de se trouver durablement placée dans la zone crépusculaire, à l’angle mort du soleil.

(1) Article 1er de l’arrêté royal du 5 juillet 1974 (modifié à quatre reprises, en 1983, 1989, 1993 et 1998).
(2) Cette règle est correctement appliquée par la Communauté flamande dans ses circulaires VR-95/37 du 24 mai 1995 et BA-97/11 du 4 juin 1997.
(3) Article 4 du règlement 00/04 du 9 juin 2000, confirmé par l’article 3 du décret flamand du 27 avril 2007.
(4) Décret flamand du 13 juin 1996.
(5) Circulaire flamande précitée du 24 mai 1995.
(6) Même circulaire.
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Christian Behrendt est professeur de droit constitutionnel comparé
et de théorie générale de l’Etat à l’Université de Liège.


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